Attributions de compensation : dans quelles conditions opter pour la « dette récupérable » ?

Par Pablo Hurlin-Sanchez

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C’est comme un vent de panique s’est emparé de la commission locale d’évaluation des charges transférées ! Certaines compétences transférées à la communauté au 1er janvier dernier étaient financées par les communes grâce à un recours à l’emprunt, sans que l’emprunt soit affecté à un investissement particulier. Pour les membres de la commission (CLECT), l’évaluation des charges transférées apparaît alors impossible, car des montants ne sont pas rattachables directement à la compétence transférée. La conséquence en serait que les communes conserveraient l’encours de leur dette pour une compétence transférée.

Après quelques recherches, les membres de la CLECT découvrent que dans des communautés et des métropoles, un mécanisme particulier a été mis en place pour transférer l’encours de la dette des communes à leur intercommunalité : la « dette récupérable ». Sur le plan financier, il permet un transfert progressif de l’encours de la dette des communes à l’EPCI (I) grâce à une révision libre des attributions de compensation sur plusieurs années (II). La neutralité comptable est facilitée par l’inscription de ces transferts en attributions de compensation d’investissement (III).

I. Un transfert progressif de l’encours de dette à l’EPCI

Le transfert d’une compétence à l’intercommunalité par les communes conduit, sur le plan financier, au transfert des charges et des ressources d’exploitation et des charges d’investissements identifiées comme étant affectées à cette compétence. Dans les faits, cette identification s’avère parfois impossible car des lignes d’emprunts ont été mobilisées sans les affecter spécifiquement à une compétence ou parce que la compétence n’est transférée que partiellement. Tel est par exemple souvent le cas pour des compétences où ne sont transférées que des équipements reconnus d’intérêts communautaires (voirie, équipements scolaires de l’élémentaire et du préélémentaire, culturels et sportifs). Tel est aussi le cas pour la voirie et les réseaux des zones d’activités économiques, dont le transfert à la communauté les désolidarise des autres équipements communaux.

Avant le transfert, les charges supportées par la commune pour ces équipements sont vues en blocs. On finance indifféremment les dépenses sur la « voirie » par exemple, et non sur telle ou telle voie, à la fois par de l’autofinancement et le recours à l’emprunt. L’encours de dette est lui-même indifférencié.

Afin de transférer ces charges, il s’avère nécessaire d’identifier la structure de financement de ces investissements par les communes. Le ratio entre l’autofinancement et le recours à l’emprunt doit être défini, même si cela ne se fait que par le recours à une moyenne. Grâce à ce ratio, il est alors possible de calculer le coût total du transfert de la compétence en y incluant les intérêts des emprunts. Le montant annuel du remboursement de la dette correspondant à la charge empruntée transférée, à la durée de cet emprunt et à un taux annuel constant peuvent alors être identifié. Ce sont ces annuités totales qui permettent ensuite à la communauté de porter progressivement le remboursement de l’encours de la dette communale, c’est-à-dire de la transformer en « dette récupérable » par l’intercommunalité malgré son absence d’affectation à la compétence.

En termes de flux, les charges dépensées par la commune pour la compétence deviennent financées par l’intercommunalité, seule compétente. La commune voit en contrepartie ses attributions de compensation diminuer du montant de cette charge (intérêts de la dette compris) : il s’agit d’un flux financier en faveur de l’intercommunalité. Toutefois, à ce flux financier en faveur de l’intercommunalité est retranchée l’annuité dégressive qui permet à la commune de rembourser progressivement son encours de dette. Symétriquement, l’EPCI doit emprunter un montant correspondant à celui remboursé par la commune, car celle-ci ne lui transfert que la part autofinancée des charges.

En termes de stocks, ou d’encours, de dettes, la commune conserve les montants nécessaires au remboursement de sa dette. Inversement, l’encours de la dette de l’EPCI augmente du fait de l’accroissement des emprunts pour couvrir le transfert progressif de la dette communale.

Il est à noter que ce n’est que dans le cas où l’intercommunalité a une capacité d’autofinancement supérieure à celle de commune ou accès à des financements moins onéreux que le mécanisme de « dette récupérable » est avantageux. Dans le cas contraire, en particulier si la communauté n’a pas de capacité d’autofinancement, le mécanisme peut se transformer en effet-massue sur son endettement.

II. Un mécanisme fondé sur une révision libre des AC

Le mécanisme de la dette récupérable n’entre pas dans les canons de la révision des attributions de compensation tels que prévus dans l’article 1609 nonies C du Code général des impôts.

En principe, les charges liées à des équipements, c’est-à-dire en majorité des charges d’investissement, sont évaluées par la CLECT en fonction d’un coût moyen annualisé. Ce sont les membres de la CLECT qui détermine les éléments pris en compte pour construire ce coût moyen annualisé, dont les charges financières et les coûts de renouvellement par exemple. Par ailleurs, et dans la mesure où l’attribution de compensation ne peut être indexée, le montant des attributions de compensation délibérées par le conseil communautaire s’éloignera du montant préconisé par le rapport de la CLECT.

Une délibération prise par les deux tiers des membres au moins du conseil communautaire est nécessaire pour entériner ce montant. Les conseils municipaux des communes intéressées par l’évolution de leurs attributions de compensation devront également, à la majorité simple de leurs conseils, prendre une délibération pour valider la proposition du conseil communautaire.

Dans certaines communautés et métropoles, le mécanisme est proposé comme une option dans la délibération du conseil communautaire fixant les attributions de compensation. Fondée juridiquement sur la révision libre des attributions de compensation, l’option pour le mécanisme de la dette récupérable permet de laisser à la commune le choix d’une attribution de compensation fixée selon les critères de la loi.  Soit la commune décide de se voir rembourser les annuités de sa dette par la communauté, qui se voit à son tour transférer la dette communale, soit la commune poursuit seule le remboursement de sa dette tout en voyant ces ressources diminuer par le prélèvement sur ses attributions de compensation.

La formule juridique à choisir dépend des facteurs financiers. Il est à noter qu’une trop grande hétérogénéité des choix des communes peut également nuire à l’équilibre global des finances de l’intercommunalité et restreint la solidarité financière.

III. Un schéma comptable facilité par les AC d’investissements

Dans la mesure où le mécanisme de dette récupérable se fonde juridiquement sur une révision libre des attributions de compensation, l’inscription d’une partie de l’attribution de compensation en section d’investissement est possible. En effet, cette inscription comptable, permise depuis le 1er janvier 2017 par la loi et prévue dans le schéma comptable depuis la fin de l’année 2017, permet que les attributions de compensation liées à des investissements soient consignées dans les comptes 13146 et 13246 des EPCI et au compte 2046 des communes. La capacité d’autofinancement des communes est ainsi moins impactée que précédemment par la réduction de leurs attributions de compensation.

De mise en œuvre délicate et nécessitant une bonne vision à la fois des structures d’endettement passées et de l’endettement futur, le mécanisme de la dette récupérable demeure un moyen de transférer une dette communale indistinctement liée à une compétence à l’intercommunalité. Elle permet ainsi une mutualisation de ressources et de s’appuyer sur la capacité plus importante des intercommunalités à supporter des emprunts.

Sources :

  • CGI, art. 1609 nonies C
  • Instruction comptable M14 : le cadre comptable
  • Métropole de Grenoble, Projet de rapport de la CLECT, 2015, p. 98

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