Nouveau report de la réforme de la CVAE : un mal pour un bien ?

Par Tiphaine Huige

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Un rapport de la commission des finances du Sénat, publié le 5 juillet dernier, réclame le report de la réforme de la répartition entre les collectivités territoriales de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), inscrite dans l'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016, et propose le report d’un an de ladite réforme.

Après un premier report, la CVAE verrait, en principe, ses modalités de répartition entre collectivités territoriales modifiées à partir du 1er janvier 2018.

Toutefois, deux rapporteurs spéciaux de la mission « Relation avec les collectivités territoriales » estiment que cette réforme aurait des conséquences importantes sur les recettes des collectivités, dans la mesure où ils ont identifié des difficultés dans le fonctionnement actuel du principal impôt local payé par les entreprises.

Les auteurs du rapport – les sénateurs Charles Guené et Claude Raynal – mettent en exergue deux arguments majeurs, et nouveaux, pour justifier le nouveau report d’une année de la réforme de la CVAE, afin d’étudier notamment :

  • les conséquences de l’entrée en vigueur des valeurs locatives révisées. En effet, l'entrée en vigueur des valeurs locatives révisées sur les locaux professionnels aura, selon eux, « forcément des conséquences importantes sur la répartition du produit fiscal entre collectivités » ;
  • les effets d’une décision récente du Conseil constitutionnel (Cons. const., 19 mai 2017, n° 2017-629 QPC, D. 2017. 1118) qui a censuré les modalités de calcul de la CVAE, précisément la consolidation du chiffre d’affaires au niveau des groupes fiscalement intégrés pour le calcul du dégrèvement barémique. Or, la réforme de la CVAE repose sur la consolidation de la valeur ajoutée au niveau du groupe d’entreprises avant d’être territorialisée en fonction des valeurs locatives et des effectifs des différents établissements.

La censure opérée par le Conseil constitutionnel permettrait ainsi à un groupe de diviser son activité en plusieurs filiales et de réduire artificiellement son chiffre d’affaires, dans l’optique de bénéficier, en réalité, d’un dégrèvement plus important voire total. Le coût du risque d’optimisation fiscale pourrait représenter 300 M€ pour l’État, bien que cette censure ne modifiera pas le montant réparti aux collectivités…

Même si les sénateurs ne souhaitent pas un abandon total de la réforme, ils considèrent que la question de la volatilité du produit de la CVAE reste « non résolue », et qu’ainsi, l’article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016 n’est pas applicable en l’état.

Face à ce bilan, les deux rapporteurs recommandent de réaliser des simulations fines au niveau du bloc communal, de chaque établissement public de coopération intercommunale, pour apprécier effectivement, et de manière précise, les conséquences de la réforme.

Outre le report de la réforme, ils préconisent aussi d’étudier la réalité des transferts de valeur ajoutée au sein des groupes.

Ils proposent également d’étudier l’hypothèse d’une répartition de l’intégralité du produit de CVAE en fonction des valeurs locatives et des effectifs situés sur chaque territoire, en cessant de territorialiser la valeur ajoutée. Cette proposition vise à répondre aux craintes alimentées par les transferts de valeur ajoutée et les changements de périmètre des groupes.

Toutefois, cette hypothèse supprimerait le lien entre la base fiscale [la valeur ajoutée] et la répartition territoriale du produit de l’impôt, ce qui remettrait en cause la qualification d’impôt local de la CVAE. Ce mécanisme pourrait donc incarner le remplacement d’un impôt direct local par une dotation.

C’est essentiellement pour cette raison que les sénateurs proposent de figer cette nouvelle règle dans une loi de gouvernance des finances locales afin d’écarter la possibilité pour le gouvernement ou les parlementaires de modifier, de manière régulière, les modalités de répartition de cette nouvelle dotation.

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