La dotation globale de fonctionnement bonifiée : le bénéfice d’un mécanisme conditionné soumis à controverse législative

Par Tiphaine Huige

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La dotation globale de fonctionnement (DGF), créée en 1979, est le plus important des concours financiers de l’État aux collectivités locales et de leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) [regroupés sous le terme générique « collectivités »]. Elle constitue une ressource de la section de fonctionnement des collectivités et de leurs établissements publics.

La DGF est une subvention globalisée, c’est-à-dire libre d’affectation. En ce sens, les collectivités n’ont pas à justifier de l’utilisation de cette recette. Par ailleurs, la DGF a été la première subvention étatique  introduisant des mécanismes de péréquation, à savoir de modulation de l’aide en fonction de leur richesse fiscale mais aussi de certains critères de charges.

La DGF des groupements de communes à fiscalité propre comprend deux parts, soit la dotation de compensation – qui correspond à l’ancienne compensation « part salaires » et à la compensation que percevaient certains EPCI au titre des baisses de dotation de compensation de l’ancienne taxe professionnelle – et la dotation d’intercommunalité. Trois critères propres aux EPCI entrent en compte dans la détermination du montant individuel de la dotation d’intercommunalité, à savoir la population, le potentiel fiscal par habitant et le coefficient d’intégration fiscale.

La DGF repose sur un système de répartition étanche par catégories juridiques. Différentes catégories sont ainsi recensées : les communautés de communes à fiscalité additionnelle, à fiscalité unique bonifiée ou non, les communautés d’agglomérations ou urbaines, les syndicats ou communautés d’agglomérations nouvelles et les métropoles.

Toutefois, certains EPCI peuvent, sous conditions, prétendre à percevoir une dotation dite bonifiée (I). Cette DGF bonifiée est, depuis quelques années, frappée d’un débat législatif, remettant quelque peu le dispositif en cause (II).

 

I. Les conditions à remplir pour bénéficier de la DGF bonifiée

Les communautés de communes à fiscalité unique peuvent bénéficier d’une dotation globale de fonctionnement dite bonifiée, c’est-à-dire sensiblement plus élevée que la DGF normale. Elles sont  caractérisées par un niveau d’intégration supérieur à celui de la communauté de communes de base, d’où leur légitimité à percevoir une dotation globale de fonctionnement majorée.

L’outil financier de la DGF est un moyen utilisé pour imposer un transfert plus important de compétences.

Le montant total de la dotation d’intercommunalité, de base ou bonifiée, est fixé par le Comité des finances locales qui le répartit entre les différents groupements d’EPCI.

Aux termes de l’article L. 5211-29 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) – dans sa version modifiée suite à l’adoption de la loi no 2016-1917 de finances pour 2017 du 29 décembre 2016 – la dotation par habitant de la catégorie des communautés de communes qui remplissent les conditions visées à l’article L. 5214-23-1 du même code est majorée d’une somme lui permettant d’atteindre 34,06 €.

Pour être éligible à la dotation globale de fonctionnement bonifiée, une communauté de communes à fiscalité unique doit remplir les conditions cumulatives, de population et de compétences, posées par l’article L. 5214-23-1 du CGCT.

Concernant la condition relative à la population, la communauté de communes doit :

  • avoir une population comprise entre 3 500 et 50 000 habitants au plus,
  • ou, lorsque sa population est supérieure à 50 000 habitants, ne pas inclure de commune centre ou de chef-lieu de département de plus de 15 000 habitants,
  • ou, lorsque sa population est inférieure à 3 500 habitants, être située en zone de revitalisation rurale de montagne et comprendre soit dix communes au minimum dont un chef-lieu de canton, soit la totalité des communes d’un canton.

Concernant la condition relative à la compétence, la communauté de communes doit exercer un nombre minimal de groupes de compétences énumérées par la loi, qui semble être au fil du temps, de plus en plus exigeant.

Avant l’adoption de la loi no 2015-991 du 7 août 2015 dite NOTRe, la communauté de communes devait exercer au moins quatre compétences sur les huit prévues par la loi, telles que, à titre d’exemple, le développement économique, l’aménagement de l’espace communautaire, l’assainissement ou encore la politique de la ville. Depuis le 1er janvier 2017, doivent être exercées six compétences sur douze.

Il convient de préciser que la condition relative aux compétences doit être interprétée strictement. En effet,  la communauté doit se voir confier les groupes de compétences choisis dans leur ensemble.

Ainsi, il faut effectivement exercer chaque bloc de compétences en entier pour pouvoir comptabiliser la compétence. À titre d’exemple, concernant l’aménagement de l’espace, la communauté de communes doit être compétente à la fois pour les schémas de cohérence territoriale (SCOT) mais aussi pour les zones d’aménagement concerté (ZAC).

Cette rigueur s’explique par l’avantage financier que représente la bonification de la dotation globale de fonctionnement, que le législateur entend réserver aux communautés de communes les plus intégrées et dont la taille démographique ne permet pas une transformation en communautés d’agglomération. La jurisprudence a confirmé cette interprétation rigoureuse. En effet, si la communauté de communes [compétente en matière d’ordures ménagères en l’espèce] n’exerce pas, ou que très partiellement, les compétences de chacun des groupes énumérés par l’article L. 5214-23-1 du CGCT, elle n’est pas éligible à la DGF bonifiée (CAA de Bordeaux, 31 juill. 2003, no 02BX00159).

Les communautés de communes à DGF bonifiée peuvent cependant transférer leurs compétences à un syndicat mixte sans que cela ait d’incidence sur leur éligibilité. En effet, le choix relatif aux modalités d’exercice de telle ou telle compétence ne saurait avoir de conséquence sur l’éligibilité des communautés de communes à la DGF bonifiée (question no 69483 – réponse ministérielle publiée le 11 mars 2002).

À noter que l’éligibilité à la DGF bonifiée est constatée par arrêté du préfet lorsque la communauté de communes remplit l’ensemble des conditions requises.

Enfin, l’éligibilité d’une communauté de communes à la DGF bonifiée ne saurait être considérée comme définitive. Par conséquent, chaque année, l’arrêté portant reconnaissance de cette éligibilité pourra être abrogé s’il n’est plus satisfait aux conditions fixées par la loi.

Toutefois, le mécanisme de la DGF bonifiée est légalement controversé, tant dans son existence que dans son contenu.

 

II. Le débat législatif autour de l’existence et du contenu de la DGF bonifiée fragilise la cohérence du mécanisme

Depuis plusieurs années, une réforme de la DGF est annoncée. Elle avait même été inscrite dans le projet de loi de finances pour 2016 mais a finalement été abandonnée.

En ce sens, les issues de la réforme territoriale sont parfois absconses…

En effet, l’article 65 de la loi no 2015-991 du 7 août 2015 NOTRe – toujours en vigueur – organise, une extension du nombre de compétences minimales à exercer pour prétendre être éligible à la DGF bonifiée (CGCT, art. L.5214-23-1).

Ainsi, suite à l’adoption de la loi NOTRe, les communautés de communes doivent exercer, depuis le 1er janvier 2017, au moins six compétences parmi douze pour bénéficier de la bonification de leur dotation (au lieu de quatre sur huit précédemment).

À compter du 1er janvier 2018, le nombre de compétences à exercer pour bénéficier de la bonification de la DGF passerait de six à neuf sur douze.

Aux termes de l’article L. 5214-23-1 du CGCT, les compétences sont désormais :

1° Actions de développement économique : création, aménagement, entretien et gestion de zones d’activité industrielle, commerciale, tertiaire, artisanale, touristique, portuaire ou aéroportuaire ; politique locale du commerce et soutien aux activités commerciales d’intérêt communautaire ; promotion du tourisme, dont la création d’offices de tourisme ;

2° En matière d’aménagement de l’espace communautaire : schéma de cohérence territoriale et schéma de secteur ; zones d’aménagement concerté d’intérêt communautaire ; à compter du 1er janvier 2018, plan local d’urbanisme (PLU), document d’urbanisme en tenant lieu et carte communale. À noter que le report au 1er janvier 2018 de l’obligation d’exercer la compétence PLU a été introduit par la loi de finances pour 2015. Sans ce report, 420 communautés étaient susceptibles de perdre le bénéfice de la DGF bonifiée dès 2015 ;

bis Gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, à compter du 1er janvier 2018 ;

3° Création ou aménagement et entretien de voirie d’intérêt communautaire ;

4° Politique du logement social d’intérêt communautaire et action, par des opérations d’intérêt communautaire, en faveur du logement des personnes défavorisées ;

4° bis En matière de politique de la ville : élaboration du diagnostic du territoire et définition des orientations du contrat de ville ; animation et coordination des dispositifs contractuels de développement urbain, de développement local et d’insertion économique et sociale ainsi que des dispositifs locaux de prévention de la délinquance ; programmes d’actions définis dans le contrat de ville ;

5° Collecte et traitement des déchets des ménages et déchets assimilés ;

6° En matière de développement et d’aménagement sportif de l’espace communautaire : construction, aménagement, entretien et gestion des équipements sportifs d’intérêt communautaire ;

7° En matière d’assainissement : l’assainissement collectif et l’assainissement non collectif ;

8° Aménagement, entretien et gestion des aires d’accueil des gens du voyage ;

9° Création et gestion de maisons de services au public et définition des obligations de service au public y afférentes en application de l’article 27-2 de la loi no 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;

10° Eau, à compter du 1er janvier 2020.

Il est à noter que les dispositions de l’article L. 5214-23-1 du CGCT, dans leur rédaction actuelle, entrent en vigueur le 1er janvier 2018. Cependant, les communes et leurs EPCI à fiscalité propre peuvent mettre en œuvre par anticipation, et depuis l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2017, les dispositions de l’article L. 5214-23-1.

Or, pour la petite histoire, la loi no 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016, en son article 150, a abrogé – sûrement mais discrètement – l’article L. 5214-23-1 à compter du 1er janvier 2017, socle juridique de la DGF bonifiée pour les communautés de communes, dans le cadre de la réforme plus globale, à cette date, de la DGF des EPCI à fiscalité propre. L’adoption de cette loi – postérieure – de finances pour 2016 aurait dû, par la même, abroger l’article 65 de la loi NOTRe qui renforce paradoxalement les conditions d’éligibilité à la DGF bonifiée. Dans les faits, il n’en n’est cependant rien.

L’abrogation de la DGF bonifiée par la loi de finances pour 2016 précitée n’a donc jamais été prise en compte, au vu des différentes rédactions de l’article L. 5214-23-1 du CGCT. Paradoxalement, son existence tend même à perdurer dès lors que la loi de finances pour 2017 précise le contenu de la DGF bonifiée et abroge l’article 150 de la loi de finances pour 2016 [qui abrogeait la DGF bonifiée] et qui a ainsi pour effet de « réactiver » l’article L. 5214-23-1 du CGCT, à compter du 1er janvier 2017.

Toutefois, dans la même lignée d’opacité, à compter du 1er janvier 2017, il est à relever que la loi de finances pour 2017 du 29 décembre 2016 précitée, dans son article 138, vient remplacer la référence des douze compétences adoptées par la loi NOTRe par le mot « onze ». Or, dans la version actuelle de l’article L. 5214-23-1 du CGCT telle que rédigée sur le site Légifrance, douze compétences, mentionnées ci-dessus, sont effectivement répertoriées. Une sorte de confusion semble ainsi avoir gagné le contenu de la DGF bonifiée.

Malgré ces rebondissements législatifs, le mécanisme de la DGF bonifiée est toujours en vigueur, s’apparentant donc à un petit miraculé juridique.

Les communautés de communes à fiscalité unique doivent remplir une double condition pour être exigibles au mécanisme de la DGF bonifiée, à savoir une condition concernant la population et une condition concernant le nombre de compétences minimales à exercer.

À ce jour, la DGF bonifiée semble controversée par l’adoption de différentes lois successives, tant dans son existence que sur dans contenu, brouillant quelque peu les contours du dispositif actuel. Son existence est cependant conservée.

Au fur et à mesure des modifications législatives et notamment de l’adoption de la loi NOTRe, les différences de compétences entre une communauté de communes de base et une communauté de communes à DGF bonifiée semblent toutefois s’amoindrir.

Sources :