La théorie des économies d'échelle ou l'Histoire des regroupements territoriaux

Par Julien Chemoul

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Pour des raisons historiques, la France a vu son territoire se découper en de multiples entités de tailles modestes. La France compte ainsi environ 37 600 communes en 1870. Cette forte « morcellisation » a, au fil du temps, conduit le pouvoir central à encourager la fusion de communes. Ce découpage a fait apparaître des difficultés de gestion. En effet, au 1er janvier 2013, environ une commune sur deux compte moins de 500 habitants représentant 7 %  de la population métropolitaine.

Deux approches différentes ont été envisagées pour pousser au regroupement de communes. La première a été basée sur la fusion de communes, c’est-à-dire l’intégration de deux ou plusieurs communes au sein d’une seule, les communes préexistantes perdant alors la personnalité juridique. Cette possibilité a connu un très faible succès. Par exemple, la loi Marcelin du 16 janvier 1971 ne permit que de procéder à 897 fusions concernant 2 217 communes. La seconde approche a encouragé les communes à se regrouper pour exercer en commun un certain nombre de compétences qu’elles transfèrent, volontairement ou par l’effet de la loi, à une entité tierce à ses membres. L’aboutissement de cette forme de coopération intercommunale interviendra avec la création d’Établissement public à fiscalité propre.

Ce mouvement va connaître un développement important dans les années 90, avec la loi du 6 février 1992 relative à l’administration du territoire de la république et la loi « Chevènement » du 12 juillet 1999. La loi du 16 décembre 2010 avait fixé à l’horizon 2013 l’achèvement de la carte intercommunale, c’est-à-dire que toutes les communes soient membres d’un EPCI à fiscalité propre. Au 1er janvier 2014, la Direction générale des collectivités territoriales comptabilisait 2 145 intercommunalités regroupant 36 612 communes. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale, en augmentant les seuils de création des EPCI, a continué dans ce mouvement de regroupement, tandis que la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral a appliqué la même idée de concentration à l’échelon régional.

Le socle théorique justifiant en grande partie ce mouvement administratif est d’ordre économique. Il tient dans l’idée d’économie d’échelle. Ce concept, provenant de la gestion d’entreprise, se définit comme la baisse du coût d’un produit résultant de l’augmentation des quantités. Transposé au secteur public, il laisse à penser qu’un kilomètre de voirie, par exemple, coûterait moins cher si l’on gère un réseau de 1 000 kilomètres qu’un réseau de 100 kilomètres.

Nous pouvons donc nous interroger sur le bilan de ce mouvement institutionnel de concentration des collectivités tant au regard du secteur intercommunal qu’au niveau régional.

S’il n’est pas possible de dresser un panorama exhaustif de la situation au niveau communal et intercommunal, les tendances, en termes de gestion budgétaire, ne plaident pas en faveur de la réalisation d’économie. En 2005, la Cour des Comptes constatait déjà que « l’impact de la réforme [de la loi de 1999] en termes de mutualisation des moyens, d’économies d’échelle ou de nouveaux services rendus n’apparaît pas de manière flagrante […] et s’il n’apparaît pas, pour l’instant, de dérive financière globale des ensembles consolidés ».  En outre, elle pointait déjà le risque d’une dérive financière trouvant sa source dans des doublons en personnel.

En 2013, la Cour des Comptes notait à nouveau que « l’apparente modération de l’évolution des dépenses des communes ne traduit pas, ou pas encore, de manière suffisante les effets que l’on serait en droit d’attendre d’un développement de l’intercommunalité porteuse de mutualisation de la dépense de fonctionnement du bloc communal ».

Lors de son dernier rapport publié en 2016, la Cour dresse un panorama qui contraste fortement avec les objectifs du législateur. Elle note que les effectifs du bloc communal et intercommunal ont augmenté de 20 %, soit 243 000 agents, entre 2002 et 2013 à périmètre de compétences constant. Il est alors constaté que l’empilement des structures administratives chargées des fonctions « support » provoque un accroissement des effectifs. En effet, les communes et les intercommunalités auxquelles elles appartiennent possèdent, bien souvent, toujours leurs services marchés publics, finances, informatique… Le législateur a introduit, dès la loi RCT du 16 décembre 2010, l’article L. 5211-39-1 du Code général des collectivités territoriales disposant que « dans l’année qui suit chaque renouvellement général des conseils municipaux, le président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre établit un rapport relatif aux mutualisations de services entre les services de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et ceux des communes membres. Ce rapport comporte un projet de schéma de mutualisation des services à mettre en œuvre pendant la durée du mandat. Le projet de schéma prévoit notamment l’impact prévisionnel de la mutualisation sur les effectifs de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et des communes concernées et sur leurs dépenses de fonctionnement ». La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles du 27 janvier 2014, afin de favoriser cette mise en œuvre, avait créé un coefficient de mutualisation des services, égal au rapport entre la rémunération de l’ensemble des personnels affectés au sein des services ou partie de services fonctionnels employés par l’intercommunalité et divisée par la rémunération de l’ensemble des personnels affectés au sein de services ou parties de services fonctionnels employés par les communes membres. Ce coefficient devait servir à moduler la dotation globale de fonctionnement versée à la communauté et à ses communes membres. Ce dispositif n’a jamais été appliqué et abandonné avec la loi de finances pour 2017. Il demeure le coefficient d’intégration fiscale qui mesure la part de fiscalité transférée des communes vers l’EPCI qui intervient dans le calcul de la dotation d’intercommunalité.

Dans une étude de l’Association des communautés de France, tirant un premier bilan des schémas de mutualisation, il est mis en évidence que « les schémas s’avèrent la plupart du temps être des mutualisations de gestion ou d’organisation peu ou pas articulées avec un projet de territoire, et finalement peu sources d’intégration pour les communautés ». Toutefois, elle révèle que les actions menées portent sur l’intégration de prestations à forte valeur ajoutée auparavant externalisée engendrant des économies substantielles. En outre, la constitution de groupements de commandes ayant un poids économique fort permet d’alléger les charges externes. Enfin, elle insiste sur le fait que ces schémas permettent des « non-dépenses ».

Le mouvement intercommunal n’a pas encore été une source d’économies. Cette vision uniquement financière doit, néanmoins, être nuancée. L’intercommunalité a permis d’enclencher une organisation des territoires à des échelles d’espace plus conforme avec les enjeux de gestion. La gestion des ordures ménagères, des réseaux d’eaux, par exemple sont extrêmement coûteuses ce qui ne permettait pas aux collectivités d’avoir des indices de performances satisfaisants. Les taux de perte en eau potable, dus à des réseaux en mauvais état, sont par exemple en diminution (de 25 % en 2012 à 20 % en 2014).

L’approche qui a dominé à la loi du 16 janvier 2015 relative au regroupement des régions procède de la même idée d’économies d’échelle, en ajoutant un aspect international. En effet, l’État a souhaité que les régions françaises soient en capacité de lutter avec leurs homologues de l'Union européenne. De ce point de vue, si la taille des 13 nouvelles régions françaises en nombre d’habitants et en superficie est comparable avec ses voisines européennes, il en va différemment au niveau budgétaire. Ainsi, le total des budgets des régions françaises en 2014 était de 25,5 milliards d’euros quand le seul budget de la Rhénanie est de 61,4 milliards d’euros. Nos régions ne sont donc pas encore équipées pour avoir une force de frappe équivalente à ses grandes concurrentes européennes.

On peut alors se demander si ce regroupement de régions a eu les effets budgétaires escomptés. Il est un peu tôt pour pouvoir établir un état des lieux budgétaire de ces 13 grandes régions. Pour l’agence de notation Standard & Poor’s, « le processus de fusion des régions ne devraient pas générer d’économies d’échelle ou autre optimisation des dépenses de nature à modifier significativement leur trajectoire budgétaire dans les prochaines années ». L’agence note tout de même que les régions françaises présentent de bonnes performances budgétaires. Ce constat est partagé par les acteurs de la vie locale qui estiment que les régions fusionnées ne feront d’économies d’échelle dans un premier temps. Par expérience, il est difficilement possible, lors d’opération de concentration, de réaliser des économies ab initio. Les frais de personnel ont tendance à augmenter par une harmonisation des régimes indemnitaires du personnel par le haut ce qui absorbera les économies réalisées sur les charges externes. Ce phénomène a été particulièrement mis en évidence lors de la création des intercommunalités (par exemple, pour la communauté urbaine de Marseille).

En conclusion, le regroupement de structures envisagé uniquement au travers un prisme financier ne présente pas la globalité des enjeux inhérents à cette démarche. Le cadre institutionnel n’est qu’une réponse dans une réflexion globale sur les politiques publiques et l’échelon le plus efficient de son exercice. À l’heure où l’État envisage d’imposer une nouvelle cure d’amaigrissement aux collectivités territoriales, il nous paraît logique de se pencher d’abord sur les services publics que nous voulons afin d’envisager sereinement les moyens financiers nécessaires au fonctionnement des collectivités territoriales.

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