Rapports de l’IGF : maîtriser les dépenses de fonctionnement pour préserver les investissements d’avenir, une équation délicate
Deux rapports de l’Inspection générale des finances (IGF) rendus publics en avril 2024 réalisent une revue des dépenses de fonctionnement et d’investissement des collectivités territoriales. Leurs résultats soulignent l’importance de réaliser des économies de dépenses de fonctionnement pour contribuer au redressement des finances publiques mais aussi pour permettre de réaliser les investissements nécessaires à l’atteinte des objectifs de la transition écologique. Ce constat pose implicitement les termes de la négociation entre l’État et les collectivités et incite à la mise en place d’un nouveau mécanisme de contractualisation.
I - Une contribution incertaine des collectivités territoriales à la maîtrise des dépenses de fonctionnement
De 2014 à 2020, pour maîtriser les dépenses des collectivités, l’État a d'abord réduit ses aides financières et instauré un objectif indicatif de dépenses. En 2018, il a mis en place des contrats contraignants pour les plus grandes collectivités, appelés « contrats de Cahors ». Depuis 2021, ces mesures ne sont plus appliquées.
En avril 2023, le Gouvernement a néanmoins prévu un niveau théorique des dépenses des collectivités dans le cadre du programme de stabilité de la France pour 2023-2027. Ce programme stipule que « à moyen terme, l’association des collectivités locales au retour progressif à l’équilibre des comptes publics implique qu’elles poursuivent la maîtrise de leurs dépenses ». Selon l'IGF, les prévisions inclues dans ce programme impliquent une réduction annuelle moyenne de 0,5 % en volume des dépenses de fonctionnement des collectivités.
Les deux principaux postes de dépenses de fonctionnement, achats courants et frais de personnel, représentent 60 % des dépenses, soit 126 milliards d’euros. Les communes comptent pour 40 % des achats et 55 % des frais de personnel de l’ensemble des collectivités. Ces dépenses constituent la majorité (55,9 %) des dépenses totales des communes.
Cependant, les prévisions de la Direction générale du trésor anticipent que les dépenses de fonctionnement des collectivités dépasseront la cible pluriannuelle, avec un écart de 13 milliards d’euros prévu en 2027. En effet, l’IGF rappelle qu’au cours des neuf dernières années, la croissance des dépenses de fonctionnement n’a été inférieure à l’inflation (contraction en volume) que quatre fois, alors que la cible pluriannuelle suppose une contraction en volume chaque année à venir.
La hausse historique de ces deux postes de dépenses rend difficile le respect des objectifs de finances publiques pour 2027 sans effort significatif. Entre 2021 et 2022, les dépenses de personnel ont augmenté de 5 % et les achats de 9 %, dans un contexte inflationniste. Ces dépenses sont essentielles pour les collectivités, elles sont néanmoins rigides et difficiles à gérer.
Ainsi, la masse salariale augmente à la fois en raison de l'accroissement des effectifs et des rémunérations. Avec 1,9 million d’employés, les effectifs augmentent principalement en raison du développement intercommunal qui ne génère pas toujours des économies. Fin 2021, les collectivités employaient 1,94 million d’agents (sans compter les 35 000 contrats aidés), dont plus de la moitié (58 %) dans les communes, et plus des trois quarts (77 %) dans les communes et les intercommunalités (GFP et syndicats).
En l'absence de mécanisme contraignant, les modalités d'application de cette trajectoire restent à définir. Le Gouvernement a indiqué, à l’occasion du vote de la loi de programmation des finances publiques, que « les modalités concrètes selon lesquelles les collectivités sont associées à cet effort sont en cours d’élaboration en concertation avec elles afin d’en partager pleinement les enjeux. […] La contribution à la maîtrise de la dépense publique qui est demandée aux collectivités ne repose pas sur une baisse programmée des concours de l’État sur la période – lesquels au contraire progresseront entre 2023 et 2027 […] mais sur la maîtrise de la progression de leurs dépenses de fonctionnement ».
L’IGF considère qu’un objectif d'économie de 10 milliards d’euros est réaliste sans s’engager sur les modalités de sa réalisation. S’agissant des dépenses de personnel, elle recommande seulement une vigilance sur le temps de travail et souligne que le renouvellement annuel de plus de 7 % des effectifs constitue une opportunité de repenser les organisations. Concernant les achats, la mission préconise davantage de mutualisation des connaissances et des achats pour générer des économies1.
Cette recherche d'économies est d'autant plus cruciale que les collectivités jouent un rôle essentiel dans l'investissement public.
II - Une contribution certaine des collectivités territoriales à l’investissement public et à l’entretien d’un vaste patrimoine en partenariat avec l’État
Les collectivités territoriales réalisent la majorité des investissements publics (58 %). En 2022, leurs dépenses d’équipement ont atteint 54 milliards d’euros, augmentant de 5 % par an depuis 2016. Les deux tiers de ces dépenses sont assumés par le bloc communal. De 2016 à 2022, les dépenses d’équipement ont progressé de 10 % en volume pour les communes et EPCI, de 21 % pour les départements et de 12 % pour les régions.
Cette augmentation des investissements s’est accompagnée, selon l’IGF, d’une amélioration de la situation financière des collectivités : leur capacité d’autofinancement a augmenté entre 2015 et 2022, tandis que leur endettement a diminué, sauf pour les régions. Leur trésorerie a atteint un niveau historique de 65,7 milliards d’euros, en hausse de près de 25 milliards depuis 2015. Cette amélioration financière s’observe même chez les collectivités les plus en difficulté, est-il précisé.
Grâce à cet investissement continu, la France dispose d’un niveau d'équipement public dense et de bonne qualité. Le stock de capital public, indicateur indirect du niveau des infrastructures, représente 69 % du PIB en France, ce qui est supérieur à la moyenne des pays avancés (62 %). De plus, selon le Forum économique mondial, la qualité des infrastructures françaises est évaluée à 6,1 sur 7, dépassant la moyenne de l’OCDE qui est de 5,4.
Ce patrimoine est évalué à 1 948 milliards d’euros en 2022. Il est composé à 91 % de terrains bâtis, d’ouvrages de génie civil et de bâtiments et est réparti de manière hétérogène sur le territoire en raison notamment de la diversité des services publics proposés par les collectivités. En 2021, les principaux postes d’investissement étaient les transports (24 %), les services généraux (16 %) et l’enseignement (14 %).
En dépit d’un bon état global, certains secteurs comme les réseaux d’eau et d’assainissement ainsi que les bâtiments, nécessiteront des investissements massifs dans les années à venir. L'IGF estime que les collectivités devront consacrer 21 milliards d’euros par an aux enjeux de transition écologique d’ici 2030.
Ce niveau élevé d’investissement soulève aussi la question des dépenses de fonctionnement associées à la gestion des immobilisations existantes, s’élevant à 32,5 milliards d’euros, ainsi que les besoins d’investissement pour la réhabilitation des actifs représentant 80 % des investissements annuels. Actuellement, les collectivités amortissent peu, bien que l’amortissement permette l’autofinancement des dépenses liées au patrimoine. L’IGF recommande donc que l’amortissement devienne la norme dans les finances publiques locales et que l’information financière soit fiabilisée pour un pilotage plus précis. L’expérimentation du compte financier unique, si elle est jugée concluante, pourrait être généralisée et permettre d’atteindre cet objectif.
Le rapport souligne également que l’État est le principal cofinanceur des investissements des collectivités territoriales, avec plus de 9,8 milliards d’euros en 2022, soit plus de 20 % de l’investissement total des collectivités. Ce montant est deux fois supérieur aux subventions croisées entre collectivités territoriales, qui financent 10 % des dépenses d’équipement. Ces financements de l’État ont augmenté de 21 % par rapport à 2018 et devraient encore croître via le « fonds vert » créé en 2023.
III- Vers une nouvelle contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales ?
Le rapport met implicitement en lumière les clés de la négociation qui doit s’engager entre l’État et les collectivités territoriales : d’un côté, un engagement dans le cofinancement pluriannuel des investissements de transition écologique et, de l'autre, la fixation de cibles de maîtrise des dépenses de fonctionnement, en particulier celles liées au personnel.
Cela pourrait inciter à retenir un mécanisme analogue aux « contrats de Cahors ».
Réf. Sources :
- Inspection générale des finances, rapp., Revue des dépenses – Masse salariale et achats et charges externes des collectivités territoriales, oct. 2023
- Inspection générale des finances, rapp., L'investissement des collectivités territoriales, oct. 2023
1 Pour plus de détails, voir article « Évaluation et perspectives pour des achats publics efficaces » O. Giannoni, mai 2024.